Distrait par la comète Lemmon pendant tout le mois d’octobre, je retrouve un ciel étoilé que j’avais un peu négligé depuis cet été. Un ciel fait d’amas d’étoiles et de nébuleuses improbables. Mais histoire de ne pas me perdre, je m’accroche, ce soir, aux étoiles familières de la constellation du Cocher.
La constellation du Cocher a ça de rassurant qu’elle est facile à repérer dans le ciel d’automne. Perchée très haut au-dessus de nos têtes pendant l’essentiel de nuits particulièrement longues, elle est marquée par une demi-douzaine d’étoiles brillantes, Capella en tête. Immanquable !
A l’intérieur de l’hexagone (approximatif) dessiné par les étoiles du Cocher, les amas d’étoiles se cueillent en grappes épaisses : M 36, M 37, M 38 et quelques autres … Voilà mon programme !
Me voilà donc à Aussonce, sous un ciel sans nuage et un froid que nous qualifierons de saison – un petit degré affiché au thermomètre, rien de bien inhabituel à un mois du début de l’hiver. Sur l’horizon ouest, la Voie Lactée joue les prolongations estivales, tandis qu’à l’opposé, Orion et Jupiter se lèvent déjà.
En attendant que Jérémy me rejoigne, je cale le Seestar et monte le Dobson de 250mm. Un coup d’œil sur Saturne me permet de réaliser que le télescope est décollimaté. Un autre coup d’œil au fond de mon sac (là où se trouvent d’ordinaire les clés allen) m’apprend qu’il le restera. On fera avec.
Messier 38 et NGC 1907, son petit voisin, sont mes premières cible de la soirée. Il faut un peu d’espace pour les faire tenir dans le champ d’un oculaire. Je sors le Pentax de 21mm, ça rentre tout juste …
Messier 38 & NGC 1907 au Seestar S50, 19 minutes de pose
M 38 est très large ! A l’oculaire, on compte une bonne trentaine d’étoiles brillantes. NGC 1907 est plus discret, plus petit, moins brillant. On compte tout de même une vingtaine d’étoiles visibles en vision directe.
Le voyage jusqu’à Messier 36 est on ne peut plus simple : une simple bascule du télescope vers le bas, sans trop pousser, et nous y voilà :
Messier 36, 5 minutes de pose
L’amas est un peu plus ramassé que M 38. Il compte moins d’étoiles – environ 25 – mais elles sont plus brillantes.
Je reste encore un peu dans l’hexagone, et prends la direction de NGC 1893, situé à côté de M 38. C’est un amas ouvert assez lâche, qui compte une douzaine d’étoiles bien visibles. Sur l’image prise au Seestar, l’amas semble coincé dans un ensemble de nébuleuses obscures et colorées :
NGC 1893 (l’amas) et IC 410 (la nébuleuse), en 6 minutes de pose
Derrière l’oculaire, l’amas semble plongé dans une cave obscure, et tout autour, quelques nébulosités aux contours indistincts sont visibles. En dehors du champ, un peu plus haut, on retrouve une grappe d’une dizaine d’étoile brillantes. Il faudra y revenir !
Je termine ce rapide tour du Cocher avec Messier 37, et son tapis d’étoiles :
Messier 37, 6 minutes de pose au Seestar S50
Les étoiles de cet amas sont peu brillantes, mais forme un tapis épais. Je compte environ 40 étoiles à l’oculaire.
D’autres objets célestes viendront enrichir cette soirée ; des classiques comme la nébuleuse du Crabe ou la nébuleuse d’Orion ainsi quelques jolies galaxies… mais très vite, les conditions vont se dégrader : l’humidité vient se coller aux optiques et nous refroidir les orteils. Mais j’ai déjà prévu de revenir très vite vers le Cocher, notamment pour poursuivre (et améliorer !) mes images un peu brouillonnes. Une affaire à suivre !
Si je devais dresser aujourd’hui le bilan cométaire de plus de trente années d’observation du ciel, je constaterais que celui-ci est plutôt maigre. En remontant le fil de mes archives, je recense deux douzaines de comètes ; et celles qui ont laissé un souvenir précis dans ma mémoire se comptent sur les doigts d’une main. Comme Hyakutake, en 1996, Hale-Bopp l’année suivante, ou Neowise, en 2020. Ces trois comètes, dont la chevelure était visible à l’œil nu, étaient particulièrement spectaculaires. La comète Holmes, à l’automne 2007, avait également fait forte impression, mais davantage à cause de son aspect curieux – un sursaut d’éclat, de l’ordre de 14 (!!!) magnitudes lié à une jolie éjection radiale, qui lui donnait un aspect de boule de Noël avant l’heure. J’en avais réalisé quelques jolis dessins.
Je dois également mentionner la comète Ikeya-Zhang, passée pas loin de la Terre en 2002. A l’époque, je me souviens avoir pas mal bataillé avec mon réveil et des nuages insistants pour finalement réussir à la photographier.
La comète Lemmon, que j’ai observé quatre reprises en cet automne, appartient assurément à cette dernière catégorie – le genre d’objet céleste qui oblige à se lever à des heures peu raisonnables, et à affronter des conditions météorologiques délicates.
Mon histoire avec Lemmon commence le 1er octobre, de très bonne heure. A cet instant, Lemmon est encore loin – à environ une unité astronomique de la Terre et du Soleil – et se promène devant les étoiles de la constellation du Lynx. Le Lynx … Pas exactement la constellation la plus riche en objets célestes remarquables, d’ordinaire. Au début du mois d’octobre, le Lynx n’est visible qu’en deuxième partie de nuit. Pour m’inciter à régler mon réveil sur les 4h pour aller à la chasse au félin à moustaches, il faut donc trouver la motivation au-delà des objets célestes qui se cachent habituellement dans ce coin de ciel.
La motivation viendra des images glanées ça et là sur le net : Lemmon semble promettre un joli spectacle !
Le 30 septembre au soir, je me livre à de savants calculs, visant à déterminer l’heure exacte à laquelle la comète franchira le faîte du toit de la maison, depuis le fond de mon jardin. L’heure établie, je prépare mes instruments et quelques vêtements chauds, et vais me coucher, en espérant trouver un ciel dégagé au réveil.
L’heure du réveil – il est 4h… – me fait espérer un ciel couvert … pour aller aussitôt me recoucher, mais la météo est joueuse, et le ciel est dégagé. Bon, tant pis, je vais laisser la couette refroidir… J’installe le Seestar, la lunette de 60mm, et sans erreur possible, je vois très vite une boule brillante apparaître à l’écran : la comète est là, brillante, légèrement verdâtre ; un bout de queue apparaît déjà sur les images brutes. Je laisse les poses s’accumuler, et en profite pour tenter de repérer la comète à la lunette.
Aidé par le large champ, le cheminement est plutôt simple : la comète est visible, mais reste discrète (ne perdons pas de vue que nous sommes à Reims, au milieu des lumières des lampadaires…). A l’écran, la silhouette de Lemmon s’étire doucement… La comète se déplace très vite ! Il est maintenant presque 6h, j’ai près de 90 minutes d’images derrière moi, et à peu près autant de minutes de sommeil devant, avant mon deuxième lever de la journée.
Il faut attendre le 12 octobre pour mon deuxième rendez-vous avec Lemmon – onze jours à attendre patiemment que la Lune, la comète et les nuages se mettent à la place que je leur ai assignés dans ma tête. Lemmon s’est rapprochée de la Terre et du Soleil ; elle est désormais dans les pattes arrières de la Grande Ourse, et visible en première partie de soirée, alors que la Lune se trouve maintenant dans la direction exactement opposée. Me voilà donc parti sur les hauteurs de Saint-Masmes pour ce deuxième rendez-vous.
Cette fois, c’est la météo qui va me compliquer la tâche… Le ciel est sans nuage, mais chargé d’un tel niveau d’humidité que la moindre lumière terrestre se transforme en prodigieux halo, qui monte très haut au-dessus de l’horizon. Et, grossière erreur de positionnement de ma part, Lemmon se trouve précisément dans les lumières de la sucrerie de Bazancourt, probablement la pire source de pollution lumineuse qui puisse affecter mon spot…
A la lunette, le repérage de Lemmon est difficile, la comète n’est pas mieux visible que depuis Reims onze jours plus tôt. Au Seestar, les images sont un peu plus détaillées, et le déplacement devant les étoiles semble plus rapide.
Dans les jours qui vont suivre, la météo va s’avérer compliquée, avec des prévisions à moyen terme qui semblent indiquer que nous nous orientons vers un temps « de saison » – façon de dire qu’il va pleuvoir ! Il s’agit donc de saisir les opportunités avant que la fenêtre d’observation favorable ne se referme… et tant pis si l’opportunité suivante doit me valoir un nouveau réveil au beau milieu de la nuit !
Nous voilà donc le samedi 18 octobre, il est 4h quand mon réveil me tire du lit, et Jupiter, bien brillante à travers la fenêtre, m’annonce que je ne retournerai pas me coucher de suite. J’empile quelques épaisseurs de vêtements chauds, charge le matériel dans la voiture et prends à nouveau la direction de Saint-Masmes.
Lemmon a quitté la Grande Ourse et se trouve désormais dans les Chiens de Chasse. Au moment où j’installe mes instruments, Orion est plein sud, et haute dans le ciel. Mais à l’horizon, les nappes de brumes glissent autour de moi, s’attardent un peu – sans doute intriguée par mon curieux manège – puis s’éloignent.
La Lune se lève dans la brume, le 18 octobre
Lemmon flotte au-dessus du brouillard, de plus en plus brillante, et désormais bien visible aux jumelles. Sa chevelure se développe sur une bonne moitié du champ de mes 10×50, malgré sa faible hauteur.
Au Seestar, une fine queue de plasma trace un trait qui sort largement du cadre. En balayant le ciel à l’œil nu, en-dessous de Cor Caroli, je parviens même à la repérer en vision décalée, confirmant qu’elle est bien visible à l’oeil nu … mais c’est juste !
J’accumule encore quelques dizaines d’images brutes, matière à ce que pense alors être ma dernière image de la comète Lemmon. En réalité, je la saisirai une dernière fois au Seestar le 2 novembre, depuis mon jardin rémois.
La comète Lemmon, du 1er octobre au 2 novembre, au Seestar S50
Au terme de ces quatre rendez-vous parfois compliqués, Lemmon a finalement rejoint le club fermé des comètes qui m’auront marqué. Elles se comptent désormais sur les doigts … de mes deux mains.
En fouillant dans mes archives de l’hiver 2020, je suis retombé sur quelques images (au final) intéressantes, prises depuis l’observatoire de Beine-Nauroy.
L’hiver 2020, c’était ce moment un peu étrange durant lequel Bételgeuse avait perdu de sa superbe. Son éclat avait été divisé par deux, au point qu’elle était devenue moins brillante qu’Aldébaran :
On avait même cru (espéré ?) qu’elle allait exploser sous nos yeux… Rien de tel, au final : Bételgeuse a retrouvé son éclat dans les mois qui ont suivi. Pour la supernova du siècle, il allait falloir patienter encore un peu …
Dans ces mêmes archives, j’ai également retrouvé des images faites avec ma Megrez 80 et mon petit Lumix. Je ne suis pas sûr d’en avoir tiré quoique ce soit à l’époque… Mais ce soir, je me suis amusé à les travailler un peu. Et je me rends compte qu’en dépit des poussières sur le capteur et du manque de temps de pose, il y avait un peu de potentiel :
La nébuleuse d’Orion à la Megrez 80 + Lumix GX80, 12 minutes de pose.
J’imagine qu’à l’époque, le dispositif technique était modeste : pas d’autoguidage, bien évidemment, juste une lunette montée sur la HEQ5, et une série d’images prises avec le mode « séquence » de mon boîtier. Bref, du minimalisme pour jus.
Même chose avec Messier 35, prise le même soir et dans des conditions identiques :
Messier 35 et NGC 2158, à la Megrez 80. 12 minutes de pose.
Sans travailler le traitement pendant des heures, j’arrive même à retrouver les nuances colorées caractéristiques de ces deux amas.
J’ai la fâcheuse habitude de ne pas jeter mes vieilles images, que je stocke en attendant de me décider à les trier/archiver/jeter (rayez les mentions inutiles). Une fois n’est pas coutume, j’ai été bien inspiré de les conserver.
Si les galaxies occupent en nombre le ciel de printemps, le ciel d’automne n’est pas en reste, et compte certainement les plus spectaculaires représentantes de cette famille d’objets célestes.
Je profite de quelques prises de vue galactiques réalisées ces dernières semaines pour faire remonter quelques souvenirs de trois d’entre-elles.
J’ai rencontré NGC 891 pour la première fois en 2002, lors d’une mémorable mission à l’observatoire de Saint Véran. Cette galaxie lointaine – jusqu’alors passée complètement à côté de mon radar – faisait partie de la liste des objets que l’équipe de Voyager 3 Astronomie avait prévu de photographier, dans le cadre d’un improbable programme d’imagerie du ciel profond à la webcam. On se gelait dans la salle d’opération de l’observatoire, nous étions insouciants, mal rasés, mais heureux de nos expérimentations approximatives. Sur nos images, NGC 891 était tellement grande qu’elle débordait largement des limites du capteur de notre Vesta Pro modifiée. On bricolait des mosaïques avec des logiciels archaïques, on se battait avec les pixels chauds… Aujourd’hui, le capteur du Seestar la saisit sans le moindre effort, et à l’écran, elle me semble bien petite !
NGC 891 au Seestar S50, depuis Reims, en septembre 2025. 84 min. de pose.
J’ai pu observer NGC 891 à plusieurs reprises par la suite, mais toujours avec quelques difficultés : repérage parfois délicat, manque de contraste … J’ai toutefois le souvenir de quelques observations au C8, laissant apparaître la bande de poussière. Il faudrait que j’y retourne, à l’occasion.
C’est avec ce même C8 que j’ai observé Messier 33 de manière détaillé. Je ne me souviens pas avoir observé la structure spiralée de la galaxie – je ne suis d’ailleurs pas persuadé que ce soit possible – mais j’ai le souvenir très précis de la vision de NGC 604, brillante nébuleuse située dans l’un des bras de la galaxie.
Messier 33 au Seestar S50, depuis Reims, en septembre 2025. 79 min. de pose.
Je reviens assez souvent sur Messier 33, que je sais repérer sans peine aux jumelles. Même sous un ciel moyen, la large tache ovale se détache facilement du fond de ciel. Mais là encore, un examen plus attentif avec un gros diamètre m’offrirait peut-être quelques détails supplémentaires… ou pas ?
Il est évidemment impossible de passer à côté de la Galaxie d’Andromède, que j’ai croisé un nombre incalculable de fois dans mes soirées d’observation, aussi bien à l’œil nu, aux jumelles, à la lunette ou dans de gros télescopes. J’ai notamment le souvenir d’une observation mémorable dans une paire de Fujinon de 70mm – un mariage absolument idéal de champ large et de piqué ; je revois encore le large fuseau brillant de la galaxie entouré d’étoiles brillant comme des pierres précieuses. Magique !
Il m’a en revanche fallu plus de temps pour enfin voir des détails dans la galaxie. Lors d’une soirée à l’observatoire de Beine-Nauroy, en collant un oculaire de 40mm à champ relativement large, j’ai pu voir pour la première fois la bande de poussière qui barre la partie la plus brillante de la galaxie.
Mosaïque de Messier 31, 32 & 110, réalisée au Seestar S50, en septembre 2025
J’ai régulièrement renouvelé cette observation au Dobson, en privilégiant un champ aussi large que possible pour réussir à attraper M 32 et M 110, ses deux galaxies satellites.
Mais c’est vision aux jumelles qui me procure les plus beaux souvenirs. J’ai notamment en tête une perspective renversante dans laquelle j’imagine le plan de la galaxie d’Andromède s’allonger démesurément, allant presque croiser celui de la Voie Lactée… Une superposition de plans qui donne une dimension proprement vertigineuse à cette vision, et qui ne manque pas de me faire décoller à mon tour !
La rentrée des classes ne signifie pas qu’il est temps de remiser les instruments au placard, bien au contraire ! Porté par une actualité astronomique plutôt riche, et parfois insolite, ce mois de septembre a été bien occupé !
Je commence en trichant un peu, l’image suivante remontant à la fin du mois d’août :
Cette balafre dans le ciel, observée le 25 août, est la trace bien visible du dégazage d’une fusée chinoise. Un événement plutôt inattendu, qui a distrait les préparatifs de ma soirée d’observation à Aussonce. Une soirée consacrée à l’exploration du Capricorne et du Verseau, un coin de ciel dans lequel les étoiles savent se faire discrètes, et où l’on retrouve beaucoup d’amas globulaires.
Deux petites semaines après cette première plongée dans le ciel d’automne, j’avais rendez-vous avec la Lune, le dimanche 7 septembre, le temps d’une éclipse totale de Lune. Installé à Saint Masmes, je devais animer un live-chat sur le Facebook du Planétarium. Avec mes quatre mains, me voilà donc chargé tout à la fois d’assurer de la prise de vue et de l’animation de chat, tout ça avec une Pleine Lune qui allait jouer à cache-cache avec l’ombre de la Terre, son atmosphère et ses nuages…
De la phase totale, je n’ai vu qu’une petite minute de teintes rouge-orangées, avant que les nuages ne viennent semer la pagaille. Impossible de tenter la moindre photo avant le retour de la phase partielle.
Le rythme un peu frénétique du live-chat ne m’a malheureusement pas permis de réaliser d’images à la lunette. Les seules images, réalisées au Seestar, illustrent très bien la limite de cet instrument sur la Lune, ou le planétaire de manière générale : le piqué est faible, ça manque de détails… Restent les souvenirs de l’instant !
Et pourtant, c’est avec ce même Seestar que je vais mettre en images, quelques poignées de jours plus tard, la très jolie occultation de Vénus par la Lune !
Une occultation que nous qualifierons de joueuse, car se déroulant en pleine journée, au milieu d’un ciel blanc-bleu. Tant que la Lune reste haute dans le ciel, il est encore possible de la repérer, mais dès le moment où elle va décliner, l’affaire est délicate !
J’ai pu suivre le phénomène à l’œil nu et aux jumelles : la vision du brillant diamant vénusien s’approchant de l’arc lunaire était un vrai plaisir !