S’il existait un prix distinguant les objets astronomiques aussi mythiques que peu spectaculaires, nul doute que Pluton le remporterait haut la main : moitié moins grosse que la Lune, perdue à plus de 5 milliards de kilomètres du Soleil, là où son feu brille d’un éclat mille fois moins fort que sur Terre, Pluton n’est visible que dans les plus gros télescopes.
Et quel spectacle cela doit être pour l’astronome qui s’aventurerait malgré tout à sa recherche, au-delà des planètes les plus lointaines … Pluton n’apparaîtrait que comme un point. Et on aurait beau grossir, Pluton resterait un simple point, perdu au milieu de beaucoup d’autres points.
Et pourtant, son histoire, de sa découverte en 1930, à sa déchéance en 2006, en a fait un astre proprement mythique. Nombreux continuent de s’inquiéter aujourd’hui de son sort, se demandant même si elle tourne encore autour du Soleil !
Je n’ai jamais observé Pluton… Je n’ai même jamais envisagé de tenter cette observation, ayant probablement peur de ne pas la distinguer des étoiles qui l’entourent. En revanche, ça fait déjà plusieurs années que je prévois de photographier son déplacement devant les étoiles, en reproduisant l’expérience qui avait conduit à sa découverte, il y a 95 ans.

« Reproduire » n’est pas le terme exact, d’ailleurs : quand Clyde Tombaugh cherchait sa neuvième planète, il fouillait une botte de foin à peu près aussi grande que la voûte céleste, à la recherche d’une aiguille invisible dont il ignorait la taille…
Mon expérience apparaît en comparaison beaucoup plus modeste : marchant dans les pas de Clyde Tombaugh, je connais tout à la fois la position et l’éclat de Pluton. D’une certaine manière, j’ai juste besoin de me baisser pour la ramasser.
Toutefois, pour corser cette expérience photographique, j’ai utilisé un modeste Seestar. Et honnêtement, je n’étais pas tout à fait certain que ses 50mm de diamètre soient suffisants pour attraper Pluton. J’avais déjà imagé des étoiles d’un éclat voisin, et elles ne brillaient pas très fort.
Le 5 août, je m’installais sur mon spot préféré de Saint Masmes, sous un ciel dont la limpidité était troublé par une Lune généreusement gibbeuse. Les étoiles du Capricorne, où se cache Pluton, plutôt discrètes en temps normal, sont, ce soir, tout à fait invisibles.
Je lance toutefois mes acquisitions, et vois petit à petit l’image se dessiner à l’écran. A côté d’une paire d’étoiles relativement brillantes, Pluton apparaît, d’abord timidement, puis de plus en plus nettement, sans ambiguïté aucune. Et elle apparaît très exactement à la position calculée par mes applis. Je l’ai ! J’ai attrapé Pluton ! (Danse de la joie au pied de mes instruments)
Reste à transformer l’essai, et reproduire l’expérience quelques jours plus tard, pour la voir, cette fois, se déplacer devant les étoiles. Pas le lendemain, ni le surlendemain, car la Lune est bien trop présente, au beau milieu des étoiles du Capricorne. Je dois donc laisser la Lune filer, mais sans pour autant trop attendre, car Pluton risque de filer à son tour, et sortir de mon champ photographique.
Le 10 août, je parviens finalement à faire une nouvelle série d’images. Pluton n’est plus à côté de ses deux étoiles, mais se trouve un peu plus à droite dans le champ.

Aucun doute, Pluton a bel et bien bougé ! On peut en tous cas voir les choses sous cet angle – d’une image à l’autre, aucun doute à avoir, on voit que Pluton s’est déplacée devant les étoiles !
Sauf que ce déplacement tient davantage du mouvement … de la Terre. Oui, c’est en réalité la conjugaison du mouvement de notre planète, beaucoup plus rapide, et la (toute relative) faible distance de Pluton qui nous offrent l’occasion de la voir se déplacer devant le fond étoilé situé des dizaines de milliers de fois plus loin. Un jeu de perspective en somme, et une magnifique expérience que je ne manquerai pas de retenter l’été prochain, histoire de m’assurer que Pluton ne s’est pas fait la malle en direction d’une autre étoile !